La ministre des Outre-mer, Naïma Moutchou à sa sortie de l'Elysée le 22 octobre 2025. ( AFP / Ludovic MARIN )
Érigée comme "urgence" par Sébastien Lecornu, la situation économique en Outre-mer fait l'objet d'un projet de loi contre la "vie chère" examiné mardi au Sénat, qui l'adoptera sans enthousiasme avec la crainte qu'il suscite la "déception" des territoires ultramarins.
Les débats ont été ouverts dans l'après-midi à la chambre haute par la nouvelle ministre des Outre-mer, Naïma Moutchou qui a promis de se muer en "ministre de la lutte contre les abus et les ententes qui pèsent sur le portefeuille de nos compatriotes ultramarins".
C'est tout l'objet de ce texte de loi qui entend défendre le pouvoir d'achat, la transparence et la transformation économiques des territoires d'Outre-mer, en réponse notamment aux manifestations qui ont secoué la Martinique à l'automne 2024.
Les chiffres sont alarmants. Selon l'Insee, l'écart de prix pour les produits alimentaires peut atteindre jusqu'à 42% entre les territoires d'Outre-mer (Guadeloupe et Martinique en tête) et la France métropolitaine. En Guadeloupe, les prix alimentaires ont bondi de 35% en dix ans.
- Budget contraint -
Un vote des sénateurs est prévu au plus tôt dans la nuit de mardi à mercredi, avant la transmission de ce projet de loi à l'Assemblée nationale.
Son adoption ne fait guère de doute, mais l'enthousiasme a déserté l’hémicycle, quasiment unanime pour regretter les angles morts du texte et son manque "d'ambition".
Des membres de la CGT Martinique manifestent le 15 octobre 2024 sur la route menant à l'aéroport de Fort-de-France, en plein mouvement contre la vie chère ( AFP / Philippe LOPEZ )
"Il convient de ne pas donner de faux espoirs, qui engendreront bientôt d'amères déceptions chez nos concitoyens ultramarins", a noté Micheline Jacques, sénatrice Les Républicains de Saint-Barthélemy et rapporteure d'un projet qu'elle qualifie "d'outil de communication".
Le constat est le même dans les rangs socialistes, où le sénateur de Guadeloupe et ancien ministre des Outre-mer Victorin Lurel redoute une occasion manquée. "Ce pourrait être un grand texte s'il y avait une vraie volonté gouvernementale derrière. Mais malheureusement, Bercy a repris la main" dans un contexte de dérapage budgétaire, affirme-t-il à l'AFP.
Naïma Moutchou a assumé le "choix" du gouvernement de ne pas s'inscrire "dans le champ social et budgétaire", estimant que la question des "revenus" devait se résoudre "dans la durée".
- Mesures phares rejetées -
Signal fort des réserves du Sénat vis-à-vis de ce projet de loi, les sénateurs ont supprimé l'une de ses mesures phares: l'exclusion des frais de transport du calcul du seuil de revente à perte (SRP), c'est-à-dire la limite de prix en-dessous de laquelle un distributeur ne peut revendre un produit sous peine d'être sanctionné.
Une baisse de ce seuil devait permettre, espère le gouvernement, une diminution des prix en rayon, notamment pour les produits de première nécessité. Mais les sénateurs craignent qu'une telle mesure ne favorise plutôt la position dominante des gros distributeurs.
Autre point majeur de crispation au Sénat, la mise en place d'un mécanisme de "péréquation" pour réduire les "frais d'approche" (transport, taxes...) des produits de première nécessité, particulièrement élevés en Outre-mer.
Là encore, le gouvernement n'a pas convaincu, refusant d'associer l’État à ce nouveau mécanisme censé réunir les distributeurs et les entreprises de fret maritime. Même le chef du groupe macroniste François Patriat a soulevé "un vrai désaccord de fond", estimant que ce refus allait à l'encontre de "la parole donnée" aux territoires ultramarins.
Résultat: le Sénat a supprimé la mesure... Et Mme Moutchou a fini par reconnaître: "Le projet de loi risque quelque peu d'être vidé de sa substance".
Dans un supermarché le 14 octobre 2024 à Fort-de-France, en Martinique alors secouée par des manifestations contre la vie chère ( AFP / PHILIPPE LOPEZ )
Les sénateurs ont tout de même soutenu le renforcement du "bouclier qualité-prix" (BQP), qui fixe le prix d'un panier de produits de première nécessité, et visera désormais une réduction effective de l'écart de prix avec l'Hexagone et non plus une simple modération.
Les sénateurs ont aussi souhaité confier aux préfets des Outre-mer la possibilité de réguler temporairement les prix en cas de crise, comme une catastrophe naturelle. Une mesure similaire plus spécifique au prix des eaux en bouteille, problématique centrale en Outre-mer, a également été votée.
Le texte intègre également tout un volet relatif à la transparence, avec plusieurs exigences imposées aux entreprises en matière de transmission de données sur leurs marges et leurs comptes, assorties pour certaines de sanctions.

7 commentaires
Vous devez être membre pour ajouter un commentaire.
Vous êtes déjà membre ? Connectez-vous
Pas encore membre ? Devenez membre gratuitement
Signaler le commentaire
Fermer